literature

Rebis

Deviation Actions

daisy-branighan's avatar
Published:
1.5K Views

Literature Text

La scène était terrible.
Une infirmière laissa rouler le brancard mais arrêta les gardiennes qui le suivaient. Elles avaient emmené une femme se tordant de douleur. La pauvre tenait son ventre étrangement arrondi et menaçait de tomber du lit. Le personnel hospitalier la sangla pour ne pas qu'elle se blesse, mais celle-ci hurlait et se débattait comme une enragée.
« Par la déesse, mais qu'a-t-elle ? » cria une infirmière.
Elle avait aperçu la peau du ventre tendue, prête à exploser et couperosée de vergetures. Elle s' arrêta, horrifiée, et une autre prit le relais. La femme à l'agonie hurlait, mais personne ne la comprenait. Tous se focalisaient sur une chose : son abdomen boursouflé. Le brancard s'engagea finalement dans un autre couloir et ne s'arrêta qu'une fois dans le bloc opératoire.
 
« Il y a quelque chose dans son ventre. » déclara la radiologue, en apportant des feuilles où l'on apercevait une tâche sombre.
« C'est un parasite ? » demanda la chirurgienne.
« En quelque sorte... C'est un fœtus. »
Un silence de mort s'abattit. La nouvelle était si abasourdissante que toutes s'étaient figées.
« S'il-vous-plaît, préparez-vous à l'extraction de... de ce fœtus. »
Les femmes présentes s’affairèrent à préparer le nécessaire à l'opération qui allait suivre et que personne ne savait pratiquer : un accouchement. Aucune ne l'avoua de vive voix, mais elles étaient terrorisées.
« Si quelqu'un a une idée de comment on fait ce genre... d'intervention, je suis preneuse. » déclara la chirurgienne.
Bien sûr, personne n'osa parler.
« Ce n'est pas arrivé depuis cinq siècles mais je suppose que si les animaux le font sans aide, il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas ! Mettez en route le protocole 6. » continua-t-elle.
« Protocole 6 enclenché », bredouilla une jeune femme.
« Voyons Jyzbel, ce n'est pas le moment de tourner de l’œil. C'est même le moment de garder les deux ouverts. Nous assistons à un moment historique. »
Si personne ne partageait son enthousiasme, l'équipe resta tout de même professionnelle. Pour soulager la jeune femme et surtout la faire taire, on lui administra une anesthésie générale. Il avait été décidé que l'accouchement s'effectuerait par incision de l'abdomen. Bien plus tard, lorsque la chirurgienne dut s'expliquer devant la commission spéciale, elle fut fière d'indiquer le nom de cette pratique : une césarienne. Le procédé était archaïque mais elle ne voulait pas tenter un accouchement par voie basse : trop compliqué et trop risqué lorsqu'on ignorait tout de la matière.
 
Mais pour l'heure, la chirurgienne priait pour que personne ne voit ses mains trembler. Aussi assurée qu'elle paraissait, elle n'avait jamais pratiqué ce genre d'intervention. Ce n'était plus prévu dans les manuels de médecine. A quoi bon, personne n'était né par voie naturelle depuis des siècles ! Elle avait même peur de ce qui se logeait à l'intérieur de la malheureuse. Celle-ci maintenant endormie, l'incision pouvait avoir lieu. C'était la partie la plus facile de l'affaire, le reste lui étant complètement inconnu.
« On va improviser », déclara la chirurgienne, comme pour se convaincre elle même de sa capacité à mener à bien un tel projet.

L'accouchement se déroula mal : la « mère » mourut d'une hémorragie. Malgré cet échec, la chirurgienne pouvait être fière d'elle, l'enfant avait survécu et gigotait désormais dans ses mains. Elle s'en débarrassa rapidement pour s'occuper du cadavre.
« Du fil et une aiguille. »

La mère avait expiré au moment où son enfant hurlait pour la première fois. La sage-femme improvisée hurla à son tour, son cri se mélangeant à celui du nouveau-né. Elle avait pourtant le cœur bien accroché mais elle faillit échapper le bébé en remarquant l'horrible appendice.
« Que la prêtresse nous protège, cet enfant... est un homme ! »
La terreur secoua les membres de l'équipe médicale et le silence de nouveau s'abattit, seulement troublé par les pleurs du nouveau-né.

Le malaise était palpable. Une naissance « naturelle » était déjà en soi une erreur, mais que le bébé soit un garçon, c'était une insulte, un blasphème. Pour peu que certaines personnes présentes aient un penchant pour la superstition, ils auraient pris cet enfant comme la réincarnation du démon.
« Attendez... Cet homme. Il lui manque un testicule. »
L'infirmière souleva le sexe du bébé avec une certaine fébrilité. Elle fut bien surprise de voir en-dessous des organes génitaux féminins.
« Cet enfant est un homme ou une femme ? »
Le chirurgien n'était plus à une aberration près.
« Comment appelle-t-on ce genre de sexe ? » demanda-t-elle, blasée.
Une jeune infirmière intervint :
« J'ai fait mon stage dans une couveuse industrielle, il y avait parfois des erreurs dans la fabrication des nouveaux-nés. Il arrivait qu'on se retrouve avec ce genre de... »
« C'est pas le moment pour un rapport de stage, s'il vous plaît, allez aux faits ! » coupa la grosse infirmière, encore bouleversée d’avoir approché l'ennemi de si près.
« C'est de l'hermaphrodisme. C'est un hermaphrodite. »
La chirurgienne soupira. Elle devait rapidement prendre une décision. L’hôpital n'avait aucun service capable de s'occuper de ce genre d'individu.
« Très bien, appelez la couveuse la plus près. Ils sont plus compétents que nous concernant les besoins de nourrisson. »
« Mais que vont-ils faire de lui ? » coupa une infirmière jusque là encore silencieuse.
« Ou d'elle. »
« Ce ne sont plus nos affaires, on a fait ce qu'on pouvait pour sauver cette femme. Et on a bien foiré. Veuillez la recoudre à ma place. »
Elle regarda le cadavre une dernière fois avant de sortir de la pièce, plus bouleversée qu'elle ne l'aurait pensé.
 
« Comment une telle chose pouvait se produire ? » se demanda la chirurgienne.
Les couveuses industrielles étaient devenues obligatoires depuis la reconnaissance de l'infertilité de l'espèce humaine. Une naissance naturelle était donc impossible. Ce qui venait de se produire était un miracle ou une malédiction, balayant en un instant l'ordre établi depuis des centaines d'années.

Elle fut sortie de ses pensées par une femme en tailleur, qui semblait l'attendre. Il n'était pas courant de voir ce genre de personne dans les couloirs du bloc opératoire. Elle regarda alors au fond du couloir et remarqua les gardiennes. Elles étaient postées comme pour surveiller l'entrée, leur arme dans les mains.
« Comment va-t-elle ? » demanda la jeune femme.
« Pas très bien, je le crains. Elle est morte. Qui êtes-vous ? »
« Je parlais de l'enfant. Je suis Abigail Odouce, et je représente le gouvernement. »
« Comment savez-vous pour l'enfant ? »
« J'ai tout entendu. »
« Je dois garantir les intérêts de l'Etat et pour cela, je dois vous transmettre ces directives. » continua Abigail en tendant une lettre.
« C'est notre « protocole » à nous pour éviter que cet accident ne s'ébruite. Je suis sûre que vous comprenez l'intérêt imposant le silence sur ce qui vient de se passer.»
La chirurgienne ne décacheta même pas la missive. Elle avait l'habitude de ce genre de courrier émanant directement du ministère. Sauf que souvent, ce n'était pas en personne qu'on se déplaçait pour lui apporter. Elle la regarda droit dans les yeux -elle n'avait pas peur des bureaucrates- et lui demanda :
« Qu'allez-vous faire de l'enfant ? »
« Ne craignez rien, nous n'allons pas la tuer. Elle sera utile à sa patrie. »

La véritable incarnation du mal résidait non pas dans ce bébé mais dans ce sourire sans âme.  A peine né, il se voyait déjà destiné à devenir une arme dans cette guerre que les femmes menaient. Cette créature en tailleur ne s'était pas trompée : cet enfant deviendrait l'un des rouages les plus importants dans la lutte contre les hommes. Il allait aussi anéantir tout ce en quoi croyaient les individus, tout sexe confondu, qui peuplaient la face illuminée de la Terre.
Voilà ma participation pour le groupe "le thème du lundi". Le thème était "l'enfant".
Ce texte est l'introduction d'une vieille histoire parlant d'un monde où la guerre des sexes fait rage. Imaginez donc un hermaphrodisme dans cet univers...
© 2014 - 2024 daisy-branighan
Comments5
Join the community to add your comment. Already a deviant? Log In
Tamaroa's avatar
Et voilà, maintenant je veux la suite.
BRAVO HEIN >.<